Alors que le président de la République a annoncé une période de confinement de deux semaines, quels sont les textes et les déclarations sur lesquelles s’appuyer pour réorganiser le travail dans l’entreprise ? Ou plutôt à l’extérieur de celle-ci. Valérie Blandeau, associer en charge du département Droit du Travail du cabinet Pinsent Masons partage les différentes options à disposition des employeurs et employés, et donc des DRH : modalités de télétravail, arrêt maladie, activité partielle, droit de retrait. En s’appuyant sur les textes à disposition, mais aussi sur les déclarations du gouvernement qui en modifient l’application.
EnjeuxRH : Quelles sont les solutions dont disposent les employeurs pour organiser l’entreprise face aux mesures actuelles et à venir liées à la pandémie de Covid-19 ?
Valérie Blandeau : Pour commencer, la grande difficulté de la situation actuelle, c’est l’incertitude que nous vivons. Nous disposons de textes de référence dans le code du travail, bien sûr, mais aucun n’a été pensé pour une telle crise, heureusement inédite. De plus, le gouvernement prend chaque jour, des mesures avec application quasi immédiate, qui remettent en question l’application directe de ces textes. Cela a été le cas avec la fermeture des commerces, par exemple, et cela le sera davantage avec le confinement. Enfin, les conjonctures sont très complexes. Elles sont souvent spécifiques à certaines entreprises et même à certains individus. On peut néanmoins regarder quels sont les recours de l’employeur et de l’employé pour s’adapter. C’est-à-dire le télétravail, l’arrêt maladie, l’activité partielle et le droit de retrait.
EnjeuxRH : Commençons par le télétravail, première solution pour organiser l’entreprise dans les secteurs où il peut être mis en place. Peut-il être imposé par l’employeur ? L’employé peut-il le réclamer, ou au contraire le refuser ?
Valérie Blandeau : L’urgence sanitaire fait du télétravail quasiment la seule façon de travailler pour un grand nombre d’entreprises. Même s’il est loin d’être un remède universel puisqu’en particulier la restauration, l’hôtellerie, le tourisme, l’industrie et ses usines ne peuvent l’appliquer. Mais une partie de l’économie peut continuer en l’utilisant. Mais le droit sur le télétravail a été mis en place pour obtenir plus de flexibilité et non pour gérer un risque sanitaire tel que celui auquel nous sommes exposés.
Valérie Blandeau : Théoriquement, il est mis en place dans le cadre d’un accord collectif avec les partenaires sociaux pour en délimiter le cadre ou par un accord entre le salarié et son employeur, pour encadrer le dispositif. Il impose par exemple à l’entreprise de donner à ses collaborateurs tous les moyens de travailler à distance, comme les outils de connexion, de prendre en charge une partie des frais, etc. Il faut aussi normalement prévoir des mesures pour éviter l’isolement du salarié. Il définit aussi le nombre de jours de télétravail par semaine ou par mois, etc. Mais il n’est pas du tout prévu pour plusieurs semaines d’organisation à distance. Et si les salariés ne peuvent en principe pas refuser le télétravail quand il est mis en place, rien n’impose à l’employeur d’y avoir recours.
Avec la crise du Covid-19, les entreprises doivent mettre en place les mesures dictées par le gouvernement. Et s’il n’est pas imposé, le télétravail est plus que recommandé. Ce sera encore plus prégnant sans doute avec le confinement. Mais restent néanmoins les cas où des collaborateurs souhaiteraient télétravailler par crainte de se déplacer, de tomber malades, ou pour garder leurs enfants par exemple, et dont l’employeur refuse. Dans ce cas, ils ont plusieurs recours, dont le premier est l’arrêt maladie pour certains d’entre eux.
EnjeuxRH : Quelles sont les conditions nouvelles, liées à la pandémie, pour les arrêts maladie ? Dans quels cas s’appliquent-elles ?
Valérie Blandeau : Aujourd’hui, une mesure dérogatoire exceptionnelle supprime l’obligation médicale et le délai de carence pour les parents qui doivent garder leurs enfants. Si un employé doit télétravailler pour ce faire, mais n’est pas éligible du fait de son métier ou si son employeur ne veut pas, il peut demander un arrêt maladie spécifique. Inutile pour lui d’aller voir un médecin, c’est l’employeur qui déclare directement l’arrêt sur le site Ameli mis en place à cet effet. Les salariés doivent fournir une déclaration sur l’honneur attestant de leur situation. Cela concerne les parents (un seul des deux parents) d’enfants de moins de 16 ans contraints de télétravailler pour les garder. Autant dire la plupart des parents depuis l’annonce par le président de la République le 12 mars dernier de la fermeture de tous les établissements scolaires.
L’arrêt maladie spécifique pour garde des enfants à la maison
EnjeuxRH : Si l’arrêt de travail n’est pas utilisable, qu’en est-il du droit de retrait ? N’importe quel employé peut-il aujourd’hui l’invoquer et quelles conséquences a-t-il pour l’entreprise ?
Valérie Blandeau : Si l’employeur ne veut pas que l’employé télétravaille, alors que son métier et son équipement le lui permettent, et que le salarié estime qu’il met sa santé en danger, son dernier recours est alors de se retirer du jeu. En invoquant le droit de retrait. Et dans ce cas, l’employeur n’a pas son mot à dire. Cela se réglera éventuellement devant les juridictions prud’homales. Seul le salarié prend la mesure à priori du risque qu’il estime courir.
Ce qu’il est très important de comprendre pour un DRH, c’est que le salarié est responsable de son appréciation du risque. Il n’a pas à prouver dans un premier temps que celui-ci existe. Il décide de faire valoir son droit de retrait pour ne plus prendre ce risque. C’est un droit absolu a priori. Aucune sanction ne peut être prise contre lui, à droit constant. Si a posteriori, l’employeur considère que ce n’était pas si grave, charge à lui de saisir le conseil de Prud’hommes par application de la théorie d’abus de droit. Mais on voit mal comment, dans la situation actuelle et avec le probable confinement, un employeur pourrait se voir donner raison.
EnjeuxRH : Un employé en particulier peut demander un arrêt maladie, ou en appeler au droit de retrait. Qu’en est-il du recours de l’entreprise, cette fois, à l’inactivité partielle ou totale, anciennement appelée chômage partiel ?
Valérie Blandeau : L’activité partielle est une mesure collective à laquelle l’employeur peut avoir recours quand il ne peut assurer le niveau d’activité suffisant ou ne peut pas payer les salaires. Il évite ainsi une procédure définitive de licenciement, ne rompt pas les contrats de travail, mais considère qu’il doit arrêter temporairement de faire travailler tout ou partie ses effectifs. Il peut aussi les maintenir à temps partiel. Dans le texte de référence, l’inactivité partielle est indemnisée à hauteur du Smic par l’employeur. Le salarié touche 70% de son salaire brut mensuel, soit 84% de son net. L’État prend en charge le reste à hauteur du Smic, par l’intermédiaire de Pôle Emploi. Avec la crise du Covid-19, les montants demeurent, mais le gouvernement a décidé que l’État prenait tout à sa charge. Le dispositif protège toujours l’employé, mais désormais aussi l’employeur dans cette période troublée.
Le principe général reste le même que d’habitude, mais l’employeur n’est plus contraint de faire une demande à l’État par dépôt de dossier. La procédure est restreinte et accélérée, et accessible plus simplement et rapidement, directement en ligne. La démarche a été adaptée à la situation de crise actuelle, mais ne rentrera pas définitivement dans les textes. Télétravail, arrêt maladie, inactivité partielle et droit de retrait, l’arsenal juridique à disposition dans la crise actuelle s’arrête là.
EnjeuxRH : Quid des congés ? Un employeur peut-il les imposer durant le confinement ?
Valérie Blandeau : La prise des congés résulte en principe d’un accord entre le salarié et l’employeur. Et pour commencer, avec un confinement probable durant 45 jours, il n’y en a pas assez. De plus, c’est moins intéressant pour l’entreprise que l’inactivité partielle puisque la prise de congés n’exonère pas du paiement des salaires.
EnjeuxRH : Les DRH doivent-ils anticiper des mesures pour le redémarrage de l’entreprise dans ses conditions habituelles, après le confinement ?
Valérie Blandeau : Il existe un dispositif dont on ne parle pas beaucoup, car on ne l’applique jamais : la récupération des heures de travail perdues. Il s’applique en cas d’interruption collective du travail résultant entre autres de causes accidentelles, d’intempéries ou en cas de force majeure. Cela permet de demander aux employés de travailler davantage pour récupérer les heures non travaillées sans pour autant les rémunérer comme des heures supplémentaires. Le dispositif pourrait peut-être être utilisé à la marge, à la reprise de l’activité.
Propos recueillis par Emmanuelle Delsol