En établissant une corrélation entre l’engagement des employés et d’autres données RH, Qualtrics veut aider les entreprises à réduire leur turn over. Reste aux DRH et aux DSI à être prudents avec ces fonctions parfois très invasives pour la vie privée.
Que se passerait-il si 28 % du personnel d’une entreprise prévoyait de démissionner au cours de l’année suivante ? Ce type de rotation peut se comprendre pour les fast-foods par exemple, où les conditions de travail sont telles que le personnel va et vient aussi vite que les commandes. Mais dans des structures où les employés doivent avoir plusieurs années d’expérience avant d’apporter une contribution significative, c’est inquiétant. Un tel turnover n’est cependant pas une fatalité. Les managers ont les moyens – et le devoir – d’améliorer l’engagement, pour qu’un employé qui envisageait de partir finisse par préférer rester.
C’est du moins la théorie de Qualtrics qui a compilé les chiffres de ses enquêtes sur l’engagement des employés et les a combinés avec des données provenant de systèmes RH, d’outils de collaboration et d’autres sources pour établir un profil plus détaillé des attitudes d’un employé, appelé Employee Experience ID. L’entreprise utilisera ces profils dans son nouvel outil : Employee Journey Analytics. Celui-ci identifie les moments clés où les managers peuvent influencer les comportements des employés – lors de l’embauche ou de l’intégration, lorsqu’ils reviennent d’un congé parental ou obtiennent un nouveau PC de travail – en examinant les données globales de l’Employee Experience ID.
DRH et DSI : au coeur du processus de fidélisation des salariés
On pourrait penser que c’est au DRH de s’occuper de cette question, mais comme une grande partie du travail se fait aujourd’hui avec les systèmes d’information, les DSI ont aussi un rôle à jouer à deux niveaux. En intégrant les systèmes de gestion de l’expérience, qu’il s’agisse de ceux de Qualtrics ou d’autres, et en veillant à ce que les salariés aient une expérience positive de l’informatique de l’entreprise. « Le DRH et le DSI sont les deux personnes qui, premièrement, sont en contact avec chaque employé et, deuxièmement, ont le plus fort impact sur leur engagement et leur fidélité », estime Brad Anderson, président du segment des produits et services de Qualtrics. Il s’appuie sur l’étude menée par l’éditeur qui révèle que les employés déclarant avoir accès à une technologie qui les aide dans leur travail sont 158% plus engagés. 61% déclarent aussi que cela les pousse à rester dans leur entreprise plus de trois ans.
Quelles conséquences sur la vie privée des employés ?
L’analyste principal de Forrester chargé de l’expérience des employés, David Brodeur-Johnson, se dit cependant préoccupé des conséquences sur la vie privée des employés. Il pointe en particulier la corrélation entre l’exploitation détaillée des réponses à une enquête employées avec les événements survenus sur le lieu de travail. Historiquement, la plateforme Qualtrics impose des limites à l’intrusion dans la vie privée en ne permettant pas aux responsables de découper les données en groupes de moins de six ou huit personnes, tentant ainsi de préserver l’anonymat des réponses individuelles. « Ce type d’informations est puissant, mais si cela peut être utilisé de manière punitive, nous pensons que c’est dangereux », estime l’analyste.
Selon lui, les DSI ont un rôle d’intendance à jouer à cet égard. « Ils doivent établir certaines limites quant à la manière dont ces informations seront utilisées, précise-t-il. Respectent-ils leur politique de gouvernance des données eet leur politique de cybersécurité ? Ouvrent-ils l’entreprise à d’autres risques qui n’ont pas été anticipés, dans les RH ou ailleurs ? » Un rôle à équilibrer avec celui de médiateur. Les DSI qui s’occupent de la création de ce type de données peuvent être « considérés comme des partenaires stratégiques visant à recueillir davantage d’informations sur l’expérience des employés. »
L’analyse du bien-être au travail : un domaine concurrentiel
Qualtrics, détenu majoritairement par SAP, n’est pas le seul fournisseur à tenter de donner une idée plus claire du moral des employés, ni à aider les employeurs à tenter d’agir sur ce dernier. Au début du mois de mai, Oracle annonçait un ajout à sa suite Fusion Cloud Human Capital Management, appelée Oracle ME. Une de ses fonctions, Touchpoints, capte et suit le moral des collaborateurs et propose au manager des mesures à prendre en conséquence. Workday intègre également des outils similaires dans son offre SaaS. En 2021, il a acquis Peakon, système de collecte de données en temps réel sur le bien-être des employés, et utilise ces données pour fournir des recommandations aux managers, soit en tant qu’outil autonome, soit en les intégrant dans sa plateforme de gestion des ressources humaines.
Momentive (anciennement SurveyMonkey) a quant à lui ajouté des API à sa plateforme d’enquête de base pour échanger des données avec Salesforce, Teams de Microsoft et d’autres applications d’entreprise. Objectif : fournir une représentation plus large de l’engagement des employés pour l’analyse dans des outils tels que Tableau ou Microsoft Power BI. Le problème aujourd’hui, selon Brad Anderson, est que « les entreprises ont de nombreuses façons différentes d’écouter, mais de façon fragmentée. »
Accueillir le collaborateur avant même son premier jour
Pour pallier ce problème, Qualtrics recueille et consolide bien plus que les données des enquêtes sur les employés. Pour créer ses Employee Experience ID, il se connecte aux logiciels de RH pour connaître la position d’un employé dans la hiérarchie, les évaluations de performance récentes et les événements clés de la vie tels que le retour d’un congé parental. Il se connecte aussi aux systèmes de gestion des dépenses pour identifier les voyageurs fréquents, à Microsoft Viva pour comprendre les modèles de travail des équipes, et aux outils de gestion des services informatiques pour voir combien de tickets de support sont déposés par un employé et dans quelle mesure ils sont résolus rapidement ou correctement. Qualtrics le fait en s’intégrant avec ServiceNow, par exemple.
Grâce à l’acquisition de Clarabridge en octobre 2021, l’éditeur analyse aussi le ressenti des employés, non seulement dans les enquêtes ou les tickets de support, mais aussi dans les canaux publics de chat telles que Teams ou Slack, dévoile Brad Anderson. A l’inverse, Workday ne peut effectuer une telle analyse de sentiments que sur les commentaires explicitement fournis dans les champs de texte libre des enquêtes Peakon. L’Employee Journey Analytics, quant à lui, offre une vue d’ensemble du moral, soit pour l’ensemble de l’entreprise, soit pour des groupes d’employés, autour de diverses interactions – accueil, assistance informatique, retour de congé pour soins. Les tableaux de bord présentent la force et la direction (positive ou négative) du bien-être des employés sous forme de graphique afin d’aider les départements RH à élaborer des plans d’action.
Enfin, Brad Anderson a indiqué qu’une multinationale de la distribution a constaté que lorsque les managers envoyaient un message ou un courriel aux nouveaux employés avant leur premier jour de travail, ils étaient plus satisfaits et moins stressés dans leur nouvel emploi. Bien entendu, le fait de cocher des cases ne remplace pas l’empathie : les employés doivent sentir que ces messages sont authentiques et non automatisés, et les responsables doivent assurer un suivi régulier.
Peter Sayer, IDG NS (adapté par Clémence Tingry)
Article original sur le site de notre publication sœur Le Monde Informatique