Tilkee donne à ses salariés la possibilité de prendre 5 semaines de congés sans solde par an pour un projet personnel. Il peut s’agir d’un projet de vie personnelle ou d’une mission dans une autre structure, non concurrente, en combinant CDI et freelance. Un moyen pour la startup de fidéliser ses équipes mais aussi de les laisser expérimenter d’autres environnements.
Née en 2015, Tilkee développe une solution d’analyse des comportements de lectures de documents commerciaux pour optimiser la relance de prospects. Comme beaucoup d’entreprises, la startup lyonnaise tient à fidéliser ses développeurs et commerciaux. Alors quand plusieurs d’entre eux demandent un assouplissement de leur organisation pour des projets personnels, elle choisit d’accepter en leur proposant des congés sans solde. Et elle généralise la démarche pour toute l’entreprise. La jeune pousse lyonnaise qui devrait afficher plus de 1,8 millions d’euros de CA en 2019, compte 32 collaborateurs. Et près d’un tiers profite du dispositif.
Accompagner son conjoint startuper ou profiter de sa famille
Tout a commencé en 2016. Un premier collaborateur demande alors du temps pour aider sa conjointe à lancer sa startup. Peu de temps après, un autre employé requière une demi-journée par semaine pour élever des chiens pour handicapés. Aux deux, Tilkee a proposé des congés sans soldes. Deux mois pour le premier employé et une demi-journée par semaine pour le second. Mais c’est Damien Altman, développeur, qui va inspirer la règle finalement mise en place par l’entreprise. En 2018, il explique au CTO de la startup, dont il dépend, que même s’il adore son travail, il souhaite passer du temps avec sa famille. Il ne veut pas de télétravail, mais du temps pour partir en vacances, souvent, avec son épouse et ses deux filles. La réponse ? Congés sans soldes pour lui-aussi (lire encadré). Même chose pour ceux qui, ensuite, ont demandé à travailler sur des missions connexes à Tilkee, en freelance.
Le trio gagnant : CDI, freelance et congé sans solde
Comme son nom l’indique, le congé sans soldes permet de s’absenter de son entreprise pendant une durée définie, sans recevoir de rémunération. Tilkee l’a choisi pour sa souplesse plus importante que le temps partiel. L’entreprise a donc donné progressivement à ses salariés la possibilité de prendre 5 semaines de congés sans solde par an pour un projet personnel. L’absence peut aussi être utilisée pour une mission rémunérée réalisée en freelance. La start-up a identifié dix concurrents, majoritairement installés aux Etats-Unis, pour lesquels ses collaborateurs ne pourront pas travailler. Le combo gagnant : CDI, congés sans solde et freelance. L’option est finalement formalisée en juin 2019.
Encadrer pour moins contrôler
Dans le droit du travail, le congé sans solde n’est réglementé, ni en durée, ni en procédure, mais il est soumis à l’approbation de l’employeur. « Comme je n’aime pas gérer les exceptions, j’ai préféré l’encadrer, précise Sylvain Tillon, cofondateur et CEO de la start-up. Il faut que ce soit simple et accessible à tous, sans besoin de contrôle excessif.» Mais Tilkee n’a pas amendé les contrats de travail pour autant. La mesure est simplement décrite dans le livret d’accueil des nouveaux arrivants.
Des projets connexes ou « side projects » pour une meilleure qualité de vie au travail
C’est Google, dont les employés peuvent passer 20% de leur temps sur un projet personnel, qui a popularisé le « side project ». Une idée née de la pénurie de candidats dans les métiers du numérique, et du développement en particulier, et de l’envie de prôner une autre façon de travailler. Le secteur est un des rares dans lesquels l’offre d’emplois dépasse la demande. « Mais nous ne voulons pas que les candidats viennent chez nous pour cela, ni que ce soit utilisé comme deuxième emploi pour compléter la rémunération, oppose Sylvain Tillon. La moyenne de nos salaires est de 1800 euros nets, soit la moyenne à Lyon. L’objectif est plutôt que les collaborateurs se sentent bien chez nous, voire qu’ils recommandent l’entreprise. Il ne s’agit pas tant d’attirer des « talents » que de les garder. Et notre turn over est proche de zéro. »
S’essayer à d’autres métiers
Pour le co-fondateur de Tilkee, ses collaborateurs, dont la moyenne d’âge tourne autour de 32 ans, vont aussi pouvoir explorer d’autres environnements, d’autres métiers. « Ce sont des juniors, qui sont en train de construire leur vie professionnelle, explique-t-il. Ils peuvent ainsi exercer dans d’autres entreprises, s’essayer à d’autres métiers sans nous quitter pour autant. Nous voulons les aider à valoriser toutes leurs expertises. Y compris celles dont ils ne sont pas conscients. Le bonus pour l’entreprise, c’est qu’ils enrichissent leurs compétences.»
Près de la moitié de l’équipe technique utilise le dispositif
Le dispositif permet d’ailleurs aussi à Tilkee de répondre à des demandes qui resteraient insatisfaites sans cela. Un de ses clients a ainsi souhaité le même outil de génération de leads que Tilkee. Si la startup l’a développé pour elle-même, le mettre en œuvre n’est pas son métier. Elle a donc proposé à un des développeurs de prendre un congé sans soldes de 3 jours, en indépendant, pour assurer la mission. « Le client était content et le collaborateur aussi, résume simplement Sylvain Tillon. Environ 30% des effectifs utilisent le dispositif. Près de la moitié des 14 membres de l’équipe technique et deux ingénieurs commerciaux que j’ai envoyés réaliser des missions spécifiques. »
Bientôt gravé dans les contrats, comme dans la startup Shine
« Mais je n’ai rien inventé, tient à préciser Sylvain Tillon. Je me suis inspiré d’autres expériences dans d’autres entreprises » Le CEO regarde ainsi attentivement l’inscription des congés sans solde dans le contrat de travail que l’entreprise Shine a mise en œuvre et partagée en ligne. Le projet personnel en congés sans soldes n’est ainsi qu’une des premières expérimentations de Tilkee en RH. Histoire de conserver ses effectifs.
Emmanuelle Delsol
Encadré
Damien Altman, développeur et heureux de profiter des congés sans solde de Tilkee, pour passer plus de temps avec ses filles
Damien Altman a été entrepreneur durant 10 ans dans le domaine de l’animation pour enfants avant d’arriver chez Tilkee. « J’ai postulé chez Orange, dans une ESN et chez eux, raconte-t-il. Les trois m’ont accepté mais je suis resté dans la start-up pour sa façon de fonctionner. » Après avoir cédé sa structure en arrivant à Lyon, il travaille à mi-temps chez Tilkee pour suivre une formation de développeur à l’école 42. « Je devais régulièrement aller à Paris pour présenter mes projets », explique-t-il. Puis il demande un temps plein pour concrétiser son projet de faire construire une maison. « Mais comme entrepreneur, j’avais pris l’habitude de télétravailler et de passer beaucoup de temps avec mes deux filles, poursuit Damien Altman. J’ai exposé ma demande lors d’une des deux réunions annuelles de Tilkee où nous parlons de ce qui va et de ce qui ne va pas. Et on m’a proposé des congés sans soldes. »
Deux semaines seulement pour obtenir congé sans solde et télétravail
Il s’agit bel et bien d’un temps que l’employé veut passer en toute liberté avec sa famille, en plus de ses congés payés, durant les vacances scolaires. « C’est une proposition que je n’ai pas pu refuser, se souvient Sylvain Tillon, cofondateur de Tilkee. C’est aussi ma vision de la vie et du travail ! » Il n’a fallu que deux semaines pour mettre l’organisation en place, à laquelle s’est ajoutée une journée de télétravail le mercredi pour qu’il puisse déjeuner avec ses enfants. C’était mi-2018. Depuis, les choses ont beaucoup changé. « Je suis monté en compétences, j’ai un très bon salaire et je vais devenir père d’une troisième petite fille à Noël 2019, se réjouit-il. Et nous avons décidé de partir pour un an en Thaïlande en juillet 2020. »
Aidé par le CTO avant son départ de Tilkee et son installation en Thaïlande
Le développeur vient donc de quitter Tilkee. Mais avant cela, en toute transparence, il a prospecté des clients durant ses congés sans solde, pour travailler à distance, en freelance, depuis l’Asie. L’un d’entre eux lui a confié une mission d’un an. « Cela s’est fait en direct avec Timothée Saumet, CTO et autre co-fondateur de Tilkee, mon responsable direct, raconte le développeur. Il m’a accompagné dans mon projet et m’a même aidé à me présenter, à me perfectionner vis-à-vis de mes clients. » Damien Altman continue même d’être accueilli une journée par semaine dans les locaux de la startup, et a la garantie orale des dirigeants, de pouvoir reprendre son poste à son retour, s’il le souhaite.
