Le Cotentin peine à trouver les candidats aux 5000 postes à pourvoir en particulier chez les industriels du territoire. Pour motiver des habitant d’autres régions à postuler et à s’installer, la communauté d’agglomération a lancé une campagne de notoriété qui les cible directement. (Photo Agence914 – de G à D, L.Gentil de Capinter, B.Arrivé, maire de Cherbourg, S.Schnebelen, resp. communication centrale nucléaire EDF Flamanville, Ludovic COLIN, directeur adjoint site Cherbourg Naval Group et D.Margueritte, président de la communauté d’agglomération du Cotentin.)
Éloigné, isolé, mal connu, longtemps mal desservi, le Cotentin peine à attirer les candidatures aux 5000 postes à pourvoir sur son territoire, de tous niveaux et dans tous les secteurs. « Nous ne parvenons pas à attirer des candidats, en particulier pour s’installer sur le territoire, » insiste David Margueritte, président de la communauté d’agglomération. Un constat simple qui conduit aujourd’hui le Cotentin à s’engager dans une campagne d’attractivité, avec une bonne dose d’humour dans son slogan : « pour la réintroduction des salariés en milieu naturel. »
Cette démarche coconstruite et déployée avec les employeurs locaux relève autant du marketing territorial que d’une approche marque employeur collective. La cible ? Les Français désireux de mobilité, mais peu attirés de prime abord par la région. « La campagne a démarré le 14 septembre par un affichage en gare Saint-Lazare et dans les couloirs du métro parisien, précise Samuel Pinot, directeur du développement de l’agence LMWR. Il s’est poursuivi dans les grandes villes de Normandie et des Hauts-de-France. Le volet digital, lui, passe par Facebook, Instagram, mais aussi Spotify et un partenariat avec le média Brut. » Le budget total s’élève à 350 000 euros, dont 200 000 en 2021.
Un tissu industriel historique aux forts besoins en emploi
« 54 000 salariés travaillent dans le Cotentin, mais le manque important de nouvelles recrues ralentit, voire empêche, le développement de certains projets, selon David Margueritte. Nous sommes pourtant le territoire français avec la plus forte perspective d’emplois. » L’industrie est déjà très présente historiquement avec la centrale nucléaire EDF de Flamanville, le site cherbourgeois de Naval Group ou encore les CMN (Constructions Mécaniques de Normandie). Des plus récents les ont rejoints comme LM Wind et son site de fabrication de pales d’éoliennes installé en 2019, qui emploie déjà près de 600 personnes et espère atteindre 800 employés d’ici à la fin de l’année. Autant d’activités qui sont à l’origine d’emplois indirects dans l’administration, les villes, la santé, le commerce, l’artisanat, etc.
Pourquoi tant de peine à recruter ? Très excentrée par nature, la péninsule est située à près de 4 heures de train de Paris. Son climat est souvent jugé inhospitalier, son territoire isolé et fait entre autres craindre à certains citadins la perte d’accès à la culture … « Nous avons un décalage d’image, regrette le président de la communauté d’agglomération. On nous voit encore comme une région en déclin industriel, isolée, aux conditions météorologiques médiocres. Or l’industrie est revenue depuis 5 à 10 ans au point de nous faire passer de 12% de chômeurs à seulement 6%. Et on le sait trop peu, mais notre pluviométrie est inférieure à celle de Paris ! » Benoît Arrivé, maire de Cherbourg, confirme : « Nous avons un travail à mener sur cette image qui est celle du passé. Et l’une des réponses se trouve dans la campagne de notoriété. »
Répondre aux besoins des habitants et transformer son image
L’indiscutable beauté des paysages côtiers aux accents irlandais ou l’accès direct aux produits de la mer ne suffit en effet pas à attirer les candidats. Le territoire peut cependant mettre en avant les réponses qu’il a données à ses habitants sur la mobilité, les transports, le désenclavement et l’économie. Le territoire a développé son offre de transports publics avec une densification du maillage de bus entre les 129 communes du territoire. Depuis le 30 aout 2021, cela représente le nombre de trajets a été multiplié par 6. Les liaisons ferroviaires ont aussi été améliorées avec des trains neufs et 11 allers-retours quotidiens entre Paris et Cherbourg contre 7 seulement auparavant. Des pôles de santé libéraux opératoires ont été ouverts. Et les élus n’oublient pas de mentionner l’indispensable désenclavement numérique du territoire qui devrait être totalement fibré en 2025.
Pour les nouveaux arrivants, le Cotentin a mis en place une cellule d’accompagnement à l’installation, avec une prise en charge de la recherche d’emploi du conjoint ou d’un logement, ou encore l’inscription en crèche ou à l’école des enfants. Des questions souvent bloquantes pour un changement de région en famille, quel que soit l’endroit de France. « Nous avons appris beaucoup de villes comme Rennes ou Nantes qui se sont développées il y a quelques années », précise le maire de Cherbourg. « L’insertion professionnelle est rapide et l’épanouissement personnel garanti, » résume David Margueritte.
Des industriels en quête de compétences pointues
Les industriels sont parties prenantes des démarches d’augmentation de la notoriété. Et pour cause. Ludovic Colin, directeur adjoint du site de Naval Group à Cherbourg, a ainsi mis en avant ses 3400 collaborateurs et les quelque 2000 sous-traitants qu’il fait travailler sur place. Début septembre il rappelait la filière d’excellence qu’il représente, mais aussi le plan de charge important de sous-marins nucléaires d’attaque à sa disposition. C’était sans compter avec la très retentissante annulation du « contrat du siècle », autrement dit des commandes australiennes de sous-marins traditionnels. L’industriel aurait déjà renoncé à transformer 20 apprentis dessinateurs-projeteurs en CDI et cherche à reclasser les équipes concernées par le projet.
Depuis 2017j, Naval Group recrutait pourtant près de 400 CDI par an depuis 2017. « C’est le produit industriel le plus complexe qui existe, rappelle Ludovic Colin. Il comprend plus d’un million de composants, soit dix fois plus qu’un avion de ligne. Mais cette industrie particulière avec des compétences très spécifiques réduit notre capacité à recruter. Qui plus est, nous sommes au nord de la presqu’île. » L’industriel affirme néanmoins avoir reçu plus de 10 000 candidatures très variées entre 2015 et aujourd’hui, soit un doublement du nombre de CV en 6 ans. « Et sur les 1300 collaborateurs intégrés depuis 2017, un quart ne vient pas de Normandie. »
Des besoins transverses
« Nos difficultés proviennent cependant des compétences dont nous avons besoin, poursuit le directeur adjoint. Nous travaillons avec les collectivités sur nos besoins pour le moulage, la chaudronnerie, etc. » Le Cotentin vient ainsi d’inaugurer Hefaïs, un pôle d’excellence en soudure, pour former des spécialistes pour Naval Group, mais aussi la centrale nucléaire EDF de Flamanville, Orano ou les CMN (Constructions Mécaniques de Normandie).
Emmanuelle Delsol