Entretien avec Pierre-Henri Havrin, DRH de Nickel : « Nous allons recruter 400 personnes en 4 ans, beaucoup en relation client, IT et marketing »

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Née en 2014 et propriété de BNP Paribas, la fintech Nickel va créer 100 nouveaux emplois par an durant quatre ans. Son DRH expose la méthode de digitalisation de sa direction et les premiers choix d’outils. Il raconte également la façon dont la pandémie a changé le regard de l’entreprise sur le télétravail, et comment se déroulera sa campagne intensive de recrutement. (Crédit Photo : Bruno Levy)

LMI : Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est Nickel, pour commencer ?

Pierre-Henri Havrin : Nickel est une fintech lancée en 2014 et achetée en 2017 par BNP Paribas. Elle permet à tous ceux qui le souhaitent, sans condition de revenus, d’ouvrir un compte en cinq minutes chez un de nos partenaires buralistes –environ 5500 aujourd’hui. Pour 20 euros par an, le titulaire du compte dispose d’un moyen de paiement, d’une carte de paiement Mastercard utilisable en France et à l’étranger et d’un RIB, pour toutes les opérations bancaires classiques. Nickel est aujourd’hui la première néobanque française avec plus d’1,7 millions de clients.

En tant que DRH, quels sont les environnements de communication, de collaboration que vous utilisez et que vous préconisez ?

En 2015, quand nous n’étions que deux collaborateurs à la DRH pour une cinquantaine d’employés, les tableurs et la suite Google Pro, pour collaborer, suffisaient. Or fin 2020, nous serons dix fois plus. Ce n’est plus adapté et nous structurons donc progressivement la digitalisation de la direction. Nous avons beaucoup fonctionné avec des tableaux Google Sheet, enrichis de macros. D’un autre côté, nous sommes encore trop petits pour développer nos propres outils. Quant aux solutions globales prêtes à l’emploi, elles sont parfois trop massives et peu adaptées. Nous devons opter pour des solutions intermédiaires, modulables.

Dans ce cas, envisagez-vous des progiciels différenciés pour le recrutement, l’intégration et la gestion de carrière ?

Exactement. Nous avons recours à des outils spécialisés dans chacune des matières RH. Par exemple, nous n’arrivions plus à traiter l’ensemble des flux de candidatures avec un bon niveau de satisfaction pour tous, y compris pour les candidats. Pour coordonner le recrutement, nous avons choisi d’utiliser la gestion des flux de candidatures Welcome Kit de Welcome to the jungle (WTTJ). C’est désormais l’outil unique pour les équipes RH et les managers habilités à gérer un recrutement.

Nous avons interfacé avec cette plateforme tous les supports sur lesquels un candidat peut postuler chez nous : le site Web de Nickel, le site interne, le compte LinkedIn de l’entreprise, certains job-boards ou des sites de recrutement. Un collaborateur de la DRH ou un manager peut marquer un CV comme « à appeler » ou « à traiter ». Cela déclenche un traitement automatique tel qu’un mailing aux candidats, par exemple. Nous utilisons aussi WTTJ pour promouvoir notre marque employeur.

De quelles solutions disposez-vous pour les autres fonctions RH ?

Cette année, nous avons lancé un appel d’offres important pour une GRH. Nous avons choisi en juin une solution adaptée aux entreprises en croissance comme la nôtre, qui fournit aux équipes une interface unique vers l’ensemble des outils RH. Outre l’intégration des fonctions RH existantes chez Nickel, elle donne à nos employés la possibilité de réaliser eux-mêmes directement certaines opérations simples comme la modification de leur situation personnelle. Cette nouvelle plateforme intègrera aussi nos outils de mesure de la performance, d’entretiens annuels et professionnels. Nous allons y ajouter un module de formation qui centralisera les demandes et l’accès aux catalogues.

Comment gérez-vous l’intégration des nouveaux arrivants ?

L’onboarding de nos collaborateurs est un processus essentiel dans notre relation avec eux. C’est un moment de fort d’ancrage dans l’organisation. Aujourd’hui, si besoin est, nous sommes capables d’intégrer un nouvel employé chez Nickel en 24 heures, après la validation de son embauche. Il est immédiatement équipé d’un ordinateur, d’une session à son nom, d’une adresse mail, d’un accès aux informations sur l’entreprise et de l’ensemble des outils nécessaires à sa fonction. L’effet sur les collaborateurs est sensationnel ! La démarche mobilise de nombreuses personnes aux RH, mais aussi à l’informatique, aux services généraux, etc. L’agilité de l’organisation et de l’informatique sont cruciales dans ce cadre. Il faut anticiper les commandes d’ordinateurs et déclencher les habilitations nécessaires au travers des bons circuits, dans le temps imparti.

Avant le lancement de notre plan stratégique 2020-2024, nous avions interrogé les équipes sur ce qu’elles attendaient des RH. Elles ont souhaité la poursuite de la digitalisation de la direction, avec un accent particulier sur une interface centralisée d’accès aux différentes fonctions. Ensuite, pour définir le cahier des charges, nous avons créé des groupes de travail incluant des membres de la RH, mais aussi de la DSI, du service juridique, du délégué à la protection des données, etc. Il fallait s’assurer que les produits identifiés présentaient toutes les garanties nécessaires en matière de sécurité. Par ailleurs, ils devaient avoir une couverture internationale. Nickel a en effet lancé son activité en Espagne début juillet et s’installera dans six nouveaux pays européens d’ici à 2024. Et si nous croyons fortement à l’autonomie des territoires et à la place de la culture dans la politique RH, nous avons aussi besoin d’une cohérence globale des RH dans l’entreprise.

Nous avons désormais deux axes de réflexion sur le télétravail : l’extension du nombre de personnes éligibles et l’augmentation du nombre de jours ouverts au dispositif.

Comment avez-vous abordé la crise du Covid-19 ?

Nous avons appris le vendredi 13 mars au soir que nous serions confinés à partir du mardi 17 après-midi ! Nous avons dû prendre la décision de faire passer tous les collaborateurs sans exception en télétravail quasiment du jour au lendemain. Et l’entreprise s’est donné les moyens pour y arriver.

Un tiers de nos effectifs, soit environ 150 collaborateurs des équipes administratives et commerciales, travaillent au siège. Quelque 250 autres exercent à Nantes, dans la relation client, l’informatique et la conformité. Les équipes IT bénéficiaient déjà de notre accord de télétravail dans la limite d’une journée par semaine. Un certain nombre de fonctions du siège comme le marketing, la finance, les RH, les risques, la direction internationale étaient elles aussi éligibles et donc équipées pour basculer sans problème.

Mais nous avons aussi des commerciaux de terrain dans toute la France, juridiquement rattachés à la direction commerciale du siège. Ils gèrent la relation avec notre réseau de distribution, les buralistes, et n’étaient jusque-là pas concernés par le télétravail. Il en allait de même avec les équipes du centre d’appel téléphonique de relation avec les clients. Cela a représenté une grande nouveauté pour eux en particulier. Mais en réalité, cela a été le cas pour tout le monde. C’était un télétravail très atypique.

Une partie de vos collaborateurs a donc basculé rapidement en télétravail à 100%. Mais qu’en a-t-il été des autres équipes ?

Une grande partie de nos effectifs de Charenton disposait déjà de laptops professionnels et a pu les utiliser à domicile. En revanche, nous avons dû équiper rapidement une très grosse partie de nos collaborateurs de Nantes. C’est là où l’agilité de l’IT a été absolument remarquable et cruciale. Les équipes informatiques ont réussi à trouver des solutions techniques, notamment des VPN, pour sécuriser l’utilisation des ordinateurs personnels des collaborateurs à domicile, avant de leur livrer des laptops professionnels.

La première semaine de confinement, très logiquement, la volumétrie d’appels de nos clients a baissé. Ce laps de temps a suffi pour équiper correctement tous les collaborateurs. Et les équipes ont eu le temps de s’habituer, de tolérer ce mode de travail en conditions souvent dégradées, avec les enfants à domicile, par exemple, ou un environnement personnel mal adapté. Nous avons conservé les mêmes taux et la même qualité de réponse à nos clients. Ce côté absolument indolore pour notre clientèle nous a conduits à mettre l’ensemble de l’organisation en télétravail. Aujourd’hui, c’est un sujet de grande fierté et de reconnaissance envers les équipes.

Quels enseignements avez-vous tirés de cette période de bascule forcée en télétravail ?

Pour commencer, c’était une situation de télétravail très atypique, car massive et constante. Dans de telles proportions, ce n’est ni durable ni bon pour l’organisation et les personnes. En revanche, nous avons tiré énormément d’enseignements positifs pour notre futur modèle de télétravail, car nous nous sommes aperçus que nous étions capables de faire certaines choses que nous pensions irréalisables. Nous devons faire évoluer notre dispositif à condition de tenir compte d’un certain nombre de points d’attention identifiés pendant le confinement.

Ainsi, nous avons utilisé la visioconférence et le tchat. Nous avons appris à mobiliser sur le réseau un grand nombre de collaborateurs d’un seul coup. Et cela a apporté un vrai confort dans la période de retour progressif après le confinement. Néanmoins, cela empêche certains échanges plus informels qui ont lieu habituellement au contact des collègues.

Les commerciaux de terrain qui exercent leur métier au contact des buralistes ont été les plus affectés. Nous avons profité du confinement pour leur faire suivre des formations pour lesquelles ils n’ont pas de temps habituellement, et nous les avons aussi mobilisés pour la prospection téléphonique. Ils ont complètement joué le jeu, malgré l’importance du changement. Au déconfinement, ils ont été tout à fait favorables à un retour sur le terrain, avec les équipements sécurité sanitaires indispensables que nous leur avons fournis. Et je leur tire mon chapeau.

Nous avons deux axes de réflexion sur le télétravail : l’extension du nombre de personnes éligibles et l’augmentation du nombre de jours ouverts au dispositif. Mais si la démarche est applicable et souhaitable pour certains, elle l’est moins pour d’autres. Nous devons donc être très vigilants quant à l’équité et à la cohésion des équipes. On ne peut pas avoir « ceux qui peuvent encore davantage » télétravailler et « ceux qui ne peuvent toujours pas ». Il reste que cela a bien fonctionné pour des équipes qui n’étaient pourtant pas éligibles. Nous avons forcément tiré des conséquences de cette période. Cela a accéléré le calendrier sur ce sujet. Mais nous voulons d’abord faire un véritable exercice d’analyse avec les managers et les équipes.

L’expérience du confinement a-t-elle un impact sur vos locaux ?

Oui, cela nous confirme l’importance d’avoir des locaux collaboratifs. Ils doivent apporter ce que le télétravail n’apporte pas. Sinon se rendre au bureau aura encore moins de sens qu’auparavant. La visioconférence nous a permis de maintenir notre activité dans de bonnes conditions, mais à des moments spécifiquement réservés pour ce faire. Dans ce cadre, on perd les éléments informels qui ne peuvent pas être anticipés. Les locaux de travail doivent disposer d’espaces pour travailler de manière plus collaborative. Cela inclut la machine à café ou des espaces de détente sympathiques favorables à l’échange et au partage d’informations. Il faut avoir du plaisir à venir dans les locaux ! Il faut trouver le contact, le plaisir de travailler avec les autres, les informations et le travail collaboratif auxquels vous n’avez accès que sur place. Les rangées de bureaux individuels auront de moins en moins de sens, contrairement aux espaces partagés. Tout le monde l’a compris.

Nous allons doubler nos effectifs en 4 ans et nous devons veiller à ce qu’aucun nouveau process ne devienne une contrainte pour un collaborateur ou un manager.

Ces démarches sont d’autant plus importantes que vous allez progressivement recruter 400 personnes, et donc doubler vos effectifs ?

Oui, rien que sur la  France, nous allons créer 100 nouveaux emplois pendant quatre ans. Les deux tiers iront à Nantes. C’est dans la continuité de notre rythme de recrutement habituel, mais cela reste un volume important qui nous projette dans une nouvelle dimension. Certaines fonctions installées en France comme l’informatique fourniront aussi le support des systèmes à l’étranger. Nous ne recréerons pas d’équipe informatique dans les autres pays.

Pour quelles fonctions allez-vous recruter ? Et quels profils recherchez-vous ?

Notre plan de charge de recrutement correspond peu ou prou à la répartition actuelle de nos effectifs. Nous allons beaucoup recruter pour la relation client. Nous avons plus de 1,6 million de clients avec un objectif de 4 millions en 2024. Ça nécessite de continuer à être à la hauteur du service que nous nous fixons. Nous allons aussi beaucoup recruter pour l’informatique, les risques, la conformité, l’ensemble des fonctions support RH, finance, etc.

C’est aussi le cas dans les services marketing et communication. Jusqu’ici, c’est le bouche-à-oreille qui a constitué notre levier majeur d’acquisition de clientèle et a contribué à une grande partie de notre croissance. Nous voulons désormais davantage de communication externe pour renforcer notre notoriété. Et cela nécessite des investissements marketing en digital, en physique, dans les médias, en animation de nos réseaux sociaux, etc.

Quels profils recrutez-vous pour l’informatique ? Des développeurs, des data scientists ?

Nous nous focalisons principalement sur des bac+5 et des ingénieurs plutôt pour des postes de développeurs. Pour la relation client, nous recrutons en revanche sans condition de diplôme. Nous sommes attentifs au savoir-être, à la polyvalence et à la capacité à apporter le niveau de service attendu au client et nous formons les équipes. Chaque conseiller suit au moins 15 jours de formation avant de prendre son premier appel avec un client. Il est formé à nos outils, à notre process et à nos méthodes. Il réalise des double écoutes. Il suit un parcours d’intégration qui lui permet d’être complètement opérationnel pour son premier appel en toute autonomie.

Nous recrutons aussi des data scientists, mais dans nos directions métier à Charenton. Ces « data champions » ont vocation à devenir des référents dans les différents métiers et ils travaillent avec l’équipe de data scientists centrale de Nickel. Nous avons aussi besoin de beaucoup de professionnels de la gestion de projet. Sortir de nouveaux produits comme nous le faisons aujourd’hui avec 4 millions de clients, ce n’est plus du tout le même métier qu’avec 1,5 million de clients.

Pensez-vous arriver à conserver l’agilité, la culture de start-up en passant de 150 à 400 employés, puis de 400 à 800 ?

Chaque direction doit entreprendre des efforts d’organisation. Le dispositif en place doit permettre cette agilité en faisant avancer les projets sans trop d’adhérence les uns avec les autres. Les différentes usines de développeurs doivent continuer de travailler sans être complètement dépendantes les unes des autres. Nous nous inspirons évidemment de la méthode Agile. Notre capacité à toujours disposer d’une organisation à même de déployer rapidement des projets en toute sécurité est au cœur de notre réflexion stratégique. Nickel est devenu un acteur trop important, avec trop de clients et des enjeux trop importants pour aller trop vite… ou trop lentement ! Nous devons veiller à ce qu’aucun nouveau process ne devienne une contrainte pour un collaborateur ou un manager.

Nous devons faire de l’évangélisation autour de cette règle, mais aussi nous l’appliquer en RH. Je veux que nous soyons une DRH au service des équipes et des managers et que tout ce qui est simplifiable le soit. Pour que cela marche, tout le monde doit être au courant des processus qui changent et la communication doit être constante. C’est là que les outils sont déterminants ! Les décisions prises avec des outils collaboratifs sont par exemple beaucoup plus faciles à appliquer que celles prises par mails. Il ne s’agit pas d’exploiter la technologie pour la technologie, mais pour son utilité.

Vous appartenez depuis 2017 à BNP Paribas. Quels sont les liens avec votre maison mère ?

BNP Paribas croit beaucoup en nous. Il nous apporte son expertise dans son domaine et veut que cet ovni Nickel au milieu d’un environnement plus traditionnel continue de grossir. Mais le groupe est aussi parfaitement conscient que notre succès tient justement à notre côté « en rupture », et reste vigilant à ne pas nous imposer de process qui ne seraient pas complètement nécessaires. Nous ne sommes absolument pas en concurrence, bien au contraire. Nickel est un service qui répond à un autre besoin qui s’insère parfaitement dans l’écosystème de BNP Paribas. En matière d’informatique, ils nous apportent une expertise ultra précieuse sur la sécurité. Pour une néobanque, c’est tout simplement vital ! Ne pas maîtriser ce sujet peut compromettre totalement la pérennité de l’organisation.

Emmanuelle Delsol

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