Employés malades, télétravail, défaillance des fournisseurs, chute des commandes, supplychain interrompue… Les entreprises subissent de plein fouet l’épidémie du Coronavirus Covid-19. Les DRH doivent s’adapter, anticiper et rassurer en communicant en toute transparence. Vincent Balouet, fondateur de MaîtriseDesCrises.com a partagé quelques pistes à suivre avec EnjeuxRH. (Photo M.Hassan/G.Altmann Pixabay)
La situation provoquée par le Covid-19 est une première en matière de risque pour les entreprises, pour Vincent Balouet, fondateur de Maitrisedesrisques.com. La situation varie chaque jour, voire plusieurs fois par jour, l’incertitude règne, l’ensemble de l’écosystème économique est touché dans le monde entier, etc. Il est pourtant possible d’identifier l’impact sur les DRH, DAF, DSI, directions de la supplychain. Et surtout de prendre des mesures concrètes. Au programme : communication, transparence et souplesse.
Des informations qui arrivent comme des chocs
« La crise du Covid-19 est une première, pour plusieurs raisons, explique Vincent Balouet. La situation est très évolutive et tout ce que l’on dit peut être compromis quelques heures plus tard. » Le consultant précise d’ailleurs que les informations qu’il partage sont valides à la date de notre conversation, le 11 mars matin. À juste titre, puisque depuis le président des États-Unis a fermé ses frontières aux Européens et l’OMS a requalifié l’épidémie en pandémie… Des informations qui, comme la fermeture de l’Italie, sont peu prévisibles et difficiles à anticiper. Par ailleurs, les variables à prendre en compte sont extrêmement nombreuses : localisation de l’entreprise, taille, secteur, typologie de clients et de partenaires, mais aussi présence de malades dans l’entreprise, employés avec des enfants, etc.
Enfin, alors que beaucoup d’entreprises sont habituées à gérer des crises qui ne concernent qu’elles, comme une cyberattaque ou une défaillance de production, par exemple, avec le Covid-19, tout l’écosystème est touché, dans le monde entier. Une des caractéristiques de cette maladie est qu’elle ne menace quasiment pas la vie des personnes âgées de 18 à 62 ans, c’est-à-dire de la population active. Et si l’on en croit Jérôme Salomon, le ministre de la Santé, en France, 98% des malades guérissent pour l’instant. Le paradoxe, c’est donc que le Covid-19 atteint peu directement le monde du travail. Mais ce dernier est néanmoins concerné, car il peut être vecteur de transmission vers des plus faibles et porte une responsabilité vis-à-vis du système de santé qui risque la saturation.
Les DRH, au cœur du dispositif à mettre en place
Les DRH sont naturellement les premiers concernés par l’impact du Coronavirus dans leurs entreprises. Ils s’occupent en particulier des dispositions à prendre dans l’organisation comme la supervision de la mise en œuvre du télétravail, si nécessaire. Pour Vincent Balouet, « ce n’est plus du tout une démarche insurmontable pour les entreprises françaises qui s’y sont déjà entraînées avec le phénomène des gilets jaunes puis les grèves des transports urbains. » Du côté de l’infrastructure, les équipements ont en général été mis en place et les dispositifs testés.
« Et c’est le temps passé dans les transports en commun qui constitue le critère de choix de ceux qui doivent privilégier le travail à distance. Ceux qui peuvent venir travailler à pied, à vélo ou en trottinette, viennent au bureau. Les autres télétravaillent. » Sur le plan du droit du travail, une mise en œuvre maîtrisée de cette démarche est aussi la garantie pour l’entreprise d’éviter le droit de retrait. Celui-ci implique que les employés restent chez eux, touchent leur salaire, mais ne travaillent pas.
Organiser le télétravail et anticiper le chômage technique
Reste la question du management à distance. « Habituellement, ce sont des situations qui durent quelques jours, et cela ne pose pas de problème, estime Vincent Balouet. Mais comment faire si cela dure 2 ou 3 semaines, voire plus ? Les bonnes pratiques varient d’une entreprise à l’autre, voire d’une équipe à l’autre. » Certains préfèrent le chat, d’autres la visioconférence, d’autres encore ne veulent pas communiquer en vidéo … Le partage de documents sur le bureau peut poser un problème à ceux qui habitent dans des zones mal desservies en télécom. Les RH doivent aussi surveiller le niveau d’activité pour anticiper un éventuel recours au chômage partiel.
Les recommandations du consultant sont claires. Les managers doivent absolument être en contact avec leurs équipes au moins deux fois par jour. Dans ce cadre, le DRH peut faire des recommandations, mais elle doit surtout faire preuve de souplesse. « L’expérience montre que chaque manager a ses bonnes pratiques en la matière. »
Les DRH doivent aussi accompagner les mesures de « distanciation sociale » qui consistent à ne plus se serrer la main ou se faire la bise. Mais selon Vincent Balouet, elles ont vite été acceptées et ne déstabilisent personne. Le Covid-19 n’induit pas une peur de mourir le lendemain, comme une épidémie d’Ebola, par exemple. Et les employés s’amusent même à trouver d’autres solutions pour se saluer, comme se taper le pied ou se gratifier d’une courbette à la japonaise.
Que faire si un employé tombe malade au bureau ?
« Pas question de traumatiser les équipes avec l’irruption soudaine dans les locaux de personnels médicaux en tenue de scaphandrier », ironise à peine Vincent Balouet. Le sujet est sérieux. Les RH doivent à tout prix définir une procédure à mettre en place dans cette situation. Celle-ci consiste à appeler le 15 pour s’occuper de l’employé, en priorité, mais aussi à demander des conseils d’hygiène et de nettoyage aux équipes médicales. « La journée de travail doit être considérée comme perdue, quoiqu’il arrive, poursuit Vincent Balouet. Et la DRH doit en priorité rassurer les employés, et rétablir la confiance. » Ils doivent en premier lieu communiquer, en toute transparence, sur l’état de santé du collaborateur. Mais aussi sur des éléments comme la conformité de l’assainissement des bureaux et des équipements après ou la poursuite partielle ou totale de l’activité, etc.
Emmanuelle Delsol
Et après ? Se préparer pour plusieurs mois
Comment anticiper la suite ? Pour commencer, pour Vincent Balouet, il faut plutôt tabler sur un rétablissement de la situation en septembre qu’en juin. « On pensait que cela durerait 2,5 à 3 mois maximum, durée estimée d’une pandémie avec affection pulmonaire, selon les spécialistes de la santé. Mais si l’on écoute les économistes, la bourse, les marchés, et si l’on regarde la chaîne logistique, ce n’est pas le cas. » Selon le consultant, nous n’avons pas affaire à un cycle en V avec un rebond immédiat après 3 mois, mais à un cycle en U, avec une remontée progressive. Et lorsque nous serons au plus fort de la crise, la chaîne logistique, en particulier, ne pourra pas repartir d’un seul coup.
Un redémarrage plutôt en septembre, et contrasté suivant les secteurs
« Si la Chine arrive à redémarrer, l’Europe sera encore à l’arrêt, pour commencer. Par ailleurs, la capacité des porte-conteneurs étant finie, et non extensible, les ports déjà surchargés seront longs à se désengorger. Le redémarrage prendra du temps et sera contrasté suivant les secteurs. Le digital ne devrait pas avoir de problème. Mais l’automobile, la high-tech, le luxe seront bloqués par l’indisponibilité de composants, de matières premières…
Un plan d’adaptation de l’activité
Selon Vincent Balouet, « même les plus grandes entreprises doivent s’adapter dans cette crise du Covid-19. Leurs PCA sont des plans structurés prévus, comme leur nom l’indique, pour que l’activité continue. » Ces plans les préparent à un incident qui ne concerne en général que l’entreprise, et non toutes les parties prenantes, voire tout l’écosystème. Ils sont rarement conçus pour anticiper les effets systémiques d’une crise. « Dans le cas du Coronavirus, le monde extérieur ne fournit plus ni ne consomme plus de la même façon, rappelle le consultant. Il faut établir un plan d’adaptation, et non de continuité, de l’activité. Et cela, même les grandes entreprises ne l’ont pas forcément. »