Des documents internes d’Amazon révèlent les pratiques de travail déloyales de la firme dans ses entrepôts : surveillance de la performance des employés, pression accentuée ou encore des avis émis à leur encontre. (Photo Amazon)
Les conditions de travail dans les entrepôts Amazon sont de nouveau mises en cause aux Etats-Unis. Dans le cadre d’une plainte déposée auprès du National Labor Relations Board (NLRB), des documents internes du le géant du e-commerce ont été publiés et montrent jusqu’où il va dans le contrôle des performances de ses travailleurs et dans l’émission d’avertissements à ceux qui ne répondent pas aux attentes. En 2020, il aurait adressé plus de 13 000 de ces derniers aux équipes de son site de Staten Island aux Etats-Unis. Plus de deux mesures disciplinaires par employé dans cet établissement qui comptait alors environ 5 300 employés.
Certains de ces avis concernent le dépassement de quatre minutes du temps de pause ou des objectifs de productivité atteint à 94% contre 100 %. Ces documents internes constituent une véritable mine d’or pour l’agence indépendante du gouvernement fédéral américain chargée de conduire les élections syndicales et d’enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail. Et si les efforts de syndicalisation des employés d’Amazon dans les entrepôts d’Albany (New York) et de Campbellsville (Kentucky) n’en sont encore qu’à leurs débuts, la firme soumet ses employés à un rythme de travail effréné.
Un ex-employé syndicalisé témoigne
Gerald Bryson, un travailleur de l’entrepôt de Staten Island – l’un des plus importants d’Amazon aux Etats-Unis – a été informé qu’il avait compté 19 produits dans un bac de stockage qui en contenait en réalité 20. Une erreur qui, selon les documents, entraînerait un licenciement si elle était répétée six fois en un an. L’employé d’Amazon avait compté à la main des milliers d’articles dans l’inventaire de son entrepôt pendant trois jours lorsque son responsable lui a montré un document annoté qui relevait les erreurs commises. Il s’avère que Gerald Bryson avait commis 22 erreurs d’après le document daté de 2018.
Ce dernier a été licencié peu de temps après. En avril 2022, un juge administratif a ordonné sa réintégration de après avoir constaté que le géant du e-commerce l’avait limogé illégalement pour avoir protesté contre les conditions de sécurité sur le lieu de travail. Amazon fait appel de la décision du juge, affirmant dans une déclaration qu’il avait licencié Gerald Bryson pour avoir diffamé un collègue lors d’une manifestation sur le parking de l’entrepôt. Il a déclaré que l’employé l’avait agressé verbalement. Gerald Bryson est désormais organisateur syndical et n’est pas sûr de revenir. « Si je franchis à nouveau ces portes, cela montrera aux travailleurs qu’ils peuvent se battre », a-t-il déclaré.
Des dossiers sur les employés
C’est au moment de cette affaire qu’Amazon se voit assigné à fournir les milliers d’avis disciplinaires envoyés aux employés cette année-là : ce qu’elle refuse, qualifiant cette exigence de « trop lourde ». Toutefois, l’entreprise a fourni des statistiques sur ce qu’elle appelle les « mesures disciplinaires » – qui comprennent les licenciements, les suspensions et les avertissements – dans trois entrepôts, et a remis de nombreux dossiers du personnel. Ceux-ci comprenaient plus de 600 avis sur les employés entre 2015 et 2021 qui étaient positifs, négatifs ou neutres. Les dossiers contenaient également des déclarations sous serment de travailleurs et des échanges de courriels entre Amazon et des avocats du gouvernement.
L’ensemble de ces documents montrent la pression à laquelle sont soumis les employés d’Amazon pour accomplir des tâches précises et rapides comme l’exige la firme, créant ainsi un environnement de travail stressant. Des employés ont précisé que cet environnement les avait notamment amenés ces derniers à plus d’efforts de syndicalisation dans tout le pays. De facto, en mars, le lieu de travail de Gerald Bryson a voté pour devenir le premier entrepôt syndiqué d’Amazon aux États-Unis, et le personnel de plus de 100 autres installations dans tout le pays s’efforce de faire de même, selon l’Amazon Labor Union, un groupe de travail indépendant formé en avril 2021.
Un droit du travail à géométrie variable
Très éloignée de la législation du travail française et des pratiques hexagonales en termes de collecte de données personnelles, cette façon de faire opérée par Amazon – loin d’être un cas unique outre-Atlantique – ne manque pas d’interpeller. En effet, on pourrait difficilement imaginer en France ou dans d’autres pays européens une telle situation. De façon plus globale, les procédés d’Amazon en matière de recrutement, de management et de licenciement, offrent en tout cas une image loin de celle que souhaitent renvoyer les GAFA.