Arrivée au poste de DRH de Naval Group en 2018, Caroline Chanavas a mené à bien une transformation organisationnelle et digitale de son service bousculée par le Covid-19 et la résiliation du « contrat du siècle ». Objectif : renforcer l’attractivité des métiers propre à l’industrie de la marine de Défense, adapter les formations avec le terrain, travailler activement sur le sujet de la diversité. (Photo Bruno Lévy)
Enjeux RH : Naval Group est un des grands industriels français, spécialisé dans la marine de Défense. En quelques mots et chiffres, que représente-t-il aujourd’hui et comment est-il structuré ?
Caroline Chanavas : Naval Group est un acteur mondial du naval de Défense qui conçoit, réalise, maintient en service, démantèle et déconstruit des navires de surface et des sous-marins. Les fondements de l’entreprise ont été créés par Jean-Baptiste Colbert il y a 400 ans. La grande majorité de nos 16 000 employés travaillent en France et nous avons environ 600 collaborateurs dans 18 autres pays, dans des structures à 100% Naval Group.
Nous avons une activité de construction neuve, dite de neuvage, avec une direction des programmes pour la France et l’international, qui s’appuie sur notre direction industrielle. Nous avons une activité de service d’entretien des flottes dite de maintien en condition opérationnelle, destinée à la Marine nationale et à nos clients internationaux. Enfin, nous construisons aussi des armes sous-marines, inhérentes au combat naval.
Comment la DRH est-elle structurée et organisée ?
J’ai changé l’organisation en 2018, peu après ma prise de fonction. Elle s’articule désormais autour de deux axes principaux : une DRH de proximité et une DRH accompagnant le business. Pour ce qui est du second axe, l’organisation se cale sur celle des activités du groupe. Chaque membre du comité exécutif a un référent RH qu’il décline dans son service. Auparavant, la DRH était principalement rattachée aux directeurs de sites, avec une vision davantage locale. Or, je suis convaincue qu’on ne peut bien accompagner les collaborateurs que si leur manager et le responsable RH ont une vision partagée. En ce qui concerne la proximité, l’enjeu pour les équipes RH est d’être présentes sur le terrain, dans les ateliers, auprès des collaborateurs. Mais il s’agit aussi de travailler avec les autres fonctions transverses de l’entreprise.
Le directeur de l’industrie, par exemple, a un « strategic HR VP » qui travaille avec lui pour décliner la stratégie RH du groupe dans son activité. Nous avons aussi des HR VP d’activités transverses comme pour certains programmes de sous-marins, rattachés eux-mêmes au strategic HR VP de la direction de l’industrie. Et nous avons des DRH de sites, responsables du respect du temps de travail, de la signature des contrats, de toutes les obligations administratives locales et du dialogue avec les partenaires sociaux. Au total, la DRH compte près de 300 employés incluant les équipes de la paye et de la médecine du travail.
La gestion de crise après la fin du « contrat du siècle » australien
Le 15 septembre 2021, vous avez reçu un coup de massue très médiatisé lors de la résiliation par l’Australie du « contrat du siècle ». Une commande de 12 sous-marins à propulsion classique avait été signée en 2019 pour un total évalué à 35 milliards d’euros. Le projet concernait des équipes sur place, mais aussi à Cherbourg. Comment avez-vous fait face aux conséquences RH de cet événement ?
Le gouvernement australien nous a informés le 15 septembre que le contrat était résilié pour convenance. À partir de ce moment-là, Pierre Eric Pommellet, PDG du groupe, et tout le comité exécutif, n’ont plus eu qu’une seule idée en tête : le rebond, autant en termes d’image, de business que d’impact pour nos collaborateurs. Près de 1000 employés étaient affectés au programme AFS (Australian future submarines, NDLR) dont 350 en Australie et 650 en France. Dès le 15 septembre, j’ai demandé à mes équipes d’arrêter les recrutements de cadres et techniciens spécialisés. Le gouvernement australien a mis en œuvre des démarches pour les collaborateurs australiens concernés, sur son territoire. Pour la France, j’ai immédiatement nommé un responsable du projet pour le repositionnement des employés concernés.
Le 16 septembre au matin, nous sommes partis à Cherbourg avec Pierre Eric Pommellet, le directeur de l’industrie Laurent Espinasse, un de mes collègues et moi-même. Dans la voiture, j’ai organisé une conférence téléphonique avec l’ensemble de la communauté RH qui avait déjà beaucoup échangé la veille de façon strictement confidentielle. 50 personnes ont été mobilisées à temps plein pour le repositionnement des collaborateurs – des recruteurs et quelques employés RH. Nous avons également fait intervenir immédiatement des psychologues du travail.
En un mois, nous avons rencontré tous les collaborateurs concernés par une suppression de poste. Nous avons identifié toutes leurs compétences. Aujourd’hui, nous avons repositionné en France quasiment 100% des collaborateurs concernés. En Australie, nous avons déjà aidé les deux tiers des équipes à retrouver un nouvel emploi. Et au fil de l’eau, en fonction des nouvelles opportunités dans le groupe, nous allons permettre à chacun de rebondir. À ce jour, personne n’a subi de rupture de contrat et nous n’avons lancé aucun plan de sauvegarde de l’emploi. Je suis très fière du travail accompli par les équipes de la DRH.
Un processus de recrutement digitalisé et gamifié
Avec cet épisode difficile, et la pandémie de covid-19, avez-vous néanmoins tenu vos objectifs de recrutement ?
Oui, nous avons recruté à peu près 4500 personnes en 3 ans, jusqu’en 2021, comme prévu. Dont plus de 1000 l’an dernier avec un solde net de 488 personnes. En moyenne, 600 collaborateurs quittent l’entreprise chaque année. Mais nous recrutons, car nous avons confiance en l’avenir. Nous ne doutons pas de notre capacité à faire valoir notre excellence technique et opérationnelle, et donc à faire rentrer des commandes.
En ce qui concerne les départs volontaires, nous étions autour de 1,5% des effectifs avant 2020, et nous avons atteint 2,2% en 2021. Est-ce que ce sont ceux qui auraient dû partir en 2020 et ont repoussé leur départ ? Est-ce lié à cette « grande démission » dont on parle beaucoup ? Il est bien trop tôt pour l’affirmer. Il y a certainement plusieurs facteurs déclencheurs.
Avez-vous effectué des changements dans les processus de recrutement pour vous adapter ?
Aujourd’hui, il faut se demander quelle est la valeur ajoutée de l’entreprise pour les collaborateurs. Ces derniers cherchent de la passion dans leur métier. Or, nous sommes une entreprise de passionnés. Nous fabriquons des objets extraordinaires de souveraineté et notre activité s’inscrit dans des cycles très longs. Même si cela peut être frustrant, car on ne voit pas toujours le résultat de ses propres efforts arriver à terme, cela permet de s’investir dans la durée.
Nous avons aussi mis en place en 2019 Welcome, un outil qui digitalise tout le parcours des nouveaux arrivants, dès le recrutement. Les données les concernant sont entrées dans le logiciel, ce qui réduit les ruptures de charge, les saisies, la perte de données. Autre avantage, cela libère une partie des équipes RH de tâches administratives. Auparavant, quand le RRH d’un site recevait une promesse d’embauche, il l’imprimait, la signait, la scannait, la renvoyait, etc. Tout est aujourd’hui dans Welcome, y compris la signature électronique.
Vous avez aussi gamifié ce processus d’intégration des nouveaux arrivants. Pour quelle raison ?
Nous avons effectivement opté pour des jeux pour faciliter la connaissance du groupe, de ses métiers, dès l’accueil dans l’entreprise, et pour sensibiliser les nouveaux arrivants à des sujets comme la santé et la sécurité au travail. Lors de la journée d’accueil, un jeu de rôle les aide à comprendre ces enjeux. Nous avons aussi développé un jeu en collectif et un quiz sur l’organisation de Naval Group, ses circuits administratifs avec un premier niveau de sensibilisation à la cybersécurité. À la fin de la journée d’intégration proprement dite, nous avons même un jeu sur plateau appelé navire hybride. Il s’agit pour les nouveaux collaborateurs de construire ensemble un bateau, et ainsi de mieux appréhender notre métier. Ils touchent concrètement un bateau et comprennent qu’il s’agit d’un travail collectif des 16 000 collaborateurs du groupe.
Vous avez déployé des logiciels pour la cooptation, pour l’identification de compétences ?
Oui, nous avons un outil de cooptation, WeLink qui a été développé en interne et lancé il y a environ 3 ans. Mais nous avons aussi déployé fin 2021, un outil très intuitif de saisie des compétences, qui nous a beaucoup servi notamment pour le repositionnement de nos collaborateurs dans le cadre d’AFS. C’est un outil d’identification, de capitalisation et de promotion des compétences individuelles pour aider à changer de métier, à se développer en interne. Nous voulons davantage parler de compétences que d’expérience.
Un soudeur par exemple peut aussi être entraîneur d’un club de sport ou enseigner dans un club d’informatique. Or, les outils RH traditionnels capitalisent souvent uniquement les compétences du moment. Naval Skills ouvre vers l’ensemble des compétences des collaborateurs pour mieux les accompagner dans leur développement, mais aussi mieux valoriser toute cette richesse masquée et les capitaliser au sein de l’entreprise. Nous avons demandé à chaque collaborateur de remplir Naval Skills pour que les RH et les managers identifient des pistes de nouveaux postes et de repositionnement pour l’ensemble de ces collaborateurs. L’outil s’appuie sur la solution du commerce Elamp, et nous l’avons adapté avec la DSI.
Quand j’ai pris la direction des ressources humaines, les équipes se plaignaient beaucoup de réaliser des tâches administratives au détriment de la pratique de leur métier. Ces démarches de digitalisation étaient importantes. À la croisée entre cette transition et le quotidien qui demeurait, elles ont subi un pic de charge, mais maintenant, cela va beaucoup mieux. La signature électronique des contrats de travail et des promesses d’embauche -un chantier entre DRH et DSI-, surtout dans une période où nous recrutions beaucoup, leur a par exemple fait gagner de nombreuses heures.
La diversité, une question de développement des compétences et non de relations sociales
L’an dernier, vous avez nommé une responsable de la diversité et de l’inclusion. Qu’est-ce que cela change dans votre stratégie sur ces sujets ?
Nous avons effectivement nommé Anne-Karine Massé Baudet responsable de la diversité et de l’inclusion en 2021. Nous avions déjà des responsables de la diversité et du handicap sur les sites, mais ils dépendaient de la direction de l’action sociale. Anne-Karine Massé Baudet, elle, est rattachée à la directrice du développement et des compétences. La diversité n’est pas un sujet de relations sociales, mais de développement des collaborateurs et de l’entreprise. Ce sont de vraies compétences et une richesse complémentaire apportées par des profils différents.
Et vous venez de lancer une campagne de sensibilisation aux biais cognitifs. En quoi consiste-t-elle ?
Ces biais concernent autant la compétence que le handicap ou l’égalité homme-femme… Nous nous sommes aperçus qu’à l’extérieur et à l’intérieur du groupe, on considérait qu’il y avait des métiers d’homme et des métiers de femme. Même avec 17% de femmes managers et 23% de femmes dans le comité de direction, on continue de penser que les RH, la communication, le marketing seraient pour les femmes et la finance pour les hommes. Tout le soutien à l’entreprise reviendrait aux femmes, alors que ce qui relève de « vraies décisions » reviendrait aux hommes.
Notre campagne de communication, par affichage dans nos locaux, se décline autour de l’expression « qui a dit que ». Qui a dit que travailler en usine était un métier d’homme, par exemple. Et le 25 janvier, notre PDG a signé l’initiative « Stop au sexisme ordinaire en entreprise » (#StopE, lancée par l’association française des managers de la diversité, NDLR). J’y crois beaucoup, car cela touche le sujet de l’inclusion. Nous tentons de lutter contre les a priori et l’expression de ces a priori. Il s’agit de dire aux femmes de ne pas accepter ce sexisme ordinaire.
Quelles sont les actions concrètes derrière ces démarches de communication ?
Il s’agit de provoquer une prise de conscience par rapport à ces biais. Et concrètement de dire aux femmes – et aux hommes- qu’elles ont le droit de ne pas accepter ce sexisme ordinaire, d’alerter la DRH ou les référents sur le harcèlement mis en place depuis les ordonnances Macron de septembre 2017. Il s’agit aussi de faire comprendre que l’entreprise aura zéro tolérance pour les propos et comportements sexistes, avec des blâmes ou des sanctions contre un collaborateur ou un manager, le cas échéant.
Avez-vous entrepris de nouvelles actions envers les employés ou candidats en situation de handicap ?
Nous avons près de 6% de personnes en situation de handicap dans le groupe. L’an dernier, notre PDG a signé le manifeste du gouvernement pour l’inclusion des personnes handicapées dans la vie économique. Et nous avons participé à l’initiative DuoDays durant la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. Chaque membre du comité exécutif a passé une journée avec une personne en situation de handicap dans le groupe. Cela permet de comprendre que le handicap n’est ni un frein à l’épanouissement dans l’entreprise ni à la performance. Et cela signale à l’ensemble des collaborateurs que ces personnes sont les bienvenues dans l’entreprise.
Il n’est pas toujours facile de réaliser que quelqu’un de différent peut vous aider à faire mieux. Le sujet n’est pas de faire mieux individuellement, mais de faire bien collectivement. C’est aussi le but de notre campagne sur la diversité et l’inclusion. Et nous devons savoir identifier ces collaborateurs au travers des revues de carrière et leur donner les moyens d’évoluer dans l’entreprise avec des accompagnements spécifiques, car nous avons des métiers très divers et complexes. Ces employés portent un regard différent sur notre activité et nous devons supprimer certains biais.
Comme beaucoup d’industriels, vous êtes aussi confronté aux difficultés de recruter des femmes. Quelles démarches engagez-vous pour changer cela ?
Nous voudrions atteindre la parité homme-femme, mais c’est effectivement très difficile dans notre métier. Nous ne comptons que 20% de femmes dans l’effectif même si nous avons gagné un peu plus d’un point en 2 à 3 ans. En 2021, nous voulions recruter 30% de femmes au total et nous avons atteint 29%. Le taux est le même chez les ingénieures. Nous avons même dépassé notre objectif d’un point chez les techniciennes avec 27%. En 2025, nous nous sommes fixé l’objectif de 35% de part de femmes dans les recrutements.
En revanche, le recrutement d’ouvrières reste compliqué et nous n’en avons embauché que 8% sur notre objectif de 10%. Pourtant, nous encourageons ce type de carrières. Nous sommes très fiers, par exemple, de notre jeune soudeuse Déborah Corrette qui a remporté la médaille d’or de la compétition Worlds Skills France dans la catégorie soudage du podium industrie. Elle représentera la France à la finale mondiale de Shanghai en octobre 2022. Nous ne devons pas nous concentrer sur les ingénieures et oublier les techniciennes et les ouvrières dans nos démarches. Je suis très attachée à la promotion sociale au sein de l’entreprise.
Plus globalement, en 2021, nous avons recruté 52,5% d’ouvriers et techniciens. Avec une attention particulière portée aux profils tournés vers les nouvelles technologies, y compris dans ces métiers de production. Nous sommes dans un environnement qui change. L’impression 3D, la fabrication additive par exemple, s’imposent de plus en plus. Dans ce cadre, nous avons besoin de techniciens, mais aussi d’ingénieurs pour préparer la data. Nous recherchons plus généralement des employés capables de travailler sur les data, et des profils d’ingénieurs pour le développement informatique de nos systèmes de combat.
Formation : des chantiers-écoles sur les sites imaginés par le terrain
Ces besoins de profils imprégnés de numérique induisent-ils de nouveaux défis en matière de formation ?
Pour commencer, nous avons besoin de techniciens bien formés et qui restent dans la durée. Or, les cycles naturels de formation à nos métiers sont longs et pas toujours compatibles avec nos cycles de développement industriel qui raccourcissent. Le temps de formation d’un soudeur peut avoisiner onze ans pour certains gestes très spécifiques par exemple ! Or nous devons désormais répondre à nos clients dans des cycles de plus en plus courts. Nous devons accélérer la formation de nos collaborateurs tout en conservant le même niveau d’exigence et d’excellence opérationnelles. Nous avons beaucoup d’enjeux sur la transformation du métier.
Comment se traduit concrètement cette volonté de transformer la formation ?
En 2018, par exemple, nous avons créé le Campus des Industries Navales (Cinav) avec d’autres industriels et entreprises du secteur (dont les Chantiers de l’Atlantique, CMN, Piriou, la Marine nationale, les ministères de l’Éducation nationale et la jeunesse, de l’Enseignement supérieur et la recherche, du Travail et des Transports, avec le soutien notamment du GICAN, de l’UIMM et de BPN, NDLR). Ce n’est pas un organisme de formation, mais une initiative de marque employeur pour le secteur naval, qui réalise des opérations extrêmement concrètes autour du sujet de la formation.
Le Cinav promeut les métiers de l’industrie navale, sur son site, dans les écoles, sur les salons, un peu partout en France. Mais il travaille aussi avec l’Éducation nationale à la labellisation navale de certains cursus. Les formations académiques françaises à l’industrie ne forment plus spécifiquement aux métiers du naval. Si l’on prend l’exemple de la soudure, souder une carte électronique, des fils électriques ou la coque d’un navire, ce n’est pas la même chose. Chez nous, certains employés travaillent dans 50 cm² dans le fond d’un sous-marin ! Le Cinav peut décider de délivrer un label à un lycée professionnel pour un module de formation complémentaire spécifique.
Nous avions aussi créé une école interne pour préparer des intégrateurs projeteurs pour le programme AFS. Nous allons la réorienter vers d’autres métiers, en particulier dans le cadre de la création du pôle d’excellence de soudure de Cherbourg dans laquelle nous sommes impliqués avec EDF, Orano et les CMN (Chantiers mécaniques de Normandie).
Vous évoquiez la nécessité par ailleurs de réduire les cycles de formation pour répondre aux besoins opérationnels. Comment procédez-vous ?
Pour commencer, raccourcir un cycle de formation n’équivaut pas seulement à en réduire la durée. Nous voulons aussi donner à nos collaborateurs les moyens d’apprendre plus rapidement en revisitant l’ensemble de l’ingénierie pédagogique. En 2018, nous avons ainsi lancé des chantiers-écoles sur l’ensemble de nos sites. Ce ne sont pas des cursus de formation, mais des dispositifs imaginés par les équipes et installés directement dans les ateliers. Ils s’apparentent à des salles d’entraînement numériques ou physiques dans lesquelles sont reproduites à l’identique certaines parties des navires et des sous-marins. Les collaborateurs y ont accès quand ils le souhaitent pour préparer une intervention ou pour répéter et perfectionner leur maîtrise du geste.
Nous disposons d’une trentaine de chantiers-écoles à ce jour, dans des environnements aussi divers que le nucléaire, l’hydraulique, l’usinage ou l’électricité. Pour préparer les interventions sur les freins de catapultes du porte-avions, les collaborateurs qui doivent intervenir ont par exemple accès à des environnements qui reproduisent l’environnement réel du bateau.
Quels types d’outils utilisez-vous dans ces chantiers-écoles ?
Pour la manutention nucléaire, par exemple, qui requiert un savoir-faire extrêmement spécifique et la plus grande rigueur, nous recréons complètement l’environnement du navire dans un jumeau numérique. Le technicien évolue à l’intérieur avec des lunettes 3D. Il s’entraîne à se déplacer dans de tout petits espaces et à pratiquer les gestes de manutention nucléaire. Ce sont des opérations délicates que nous ne réalisons que très rarement. Dans le passé, un collaborateur pratiquait une fois l’opération en situation réelle, et il pouvait s’écouler 10 ans avant qu’elle ne doive se répéter. Avec le jumeau numérique, nous pouvons préparer les collaborateurs au geste en situation réelle. Ce sont les ingénieurs de Naval Group sur le site de Brest qui ont développé le système, en réalité virtuelle. Ils se sont inspirés d’un jumeau numérique développé à Cherbourg, pour la conception industrielle de navires, dans le neuvage.
Nos chantiers-écoles concernent cependant autant des domaines classiques que d’autres, comme ceux-ci, fortement digitalisés. Pour l’usinage, par exemple, il suffit de préparer le bon jeu de données pour la machine sur laquelle vous travaillez. Dans ces chantiers-écoles, nous pouvons donc faire appel à tous types d’outils et de techniques.
Comment avez-vous fait connaître cette démarche d’innovation de terrain dans l’entreprise pour qu’elle prenne ?
Pour commencer, j’ai sanctuarisé un budget RH et j’ai demandé aux équipes de terrain de réfléchir à des chantiers-écoles sur tous les sujets qui leur semblaient justifiés. Et pendant deux ans, nous avons donné tous les outils dont ils avaient besoin aux équipes des projets sélectionnés. C’est une façon de libérer les énergies de tous, d’identifier de nouvelles approches de formation.
Quand quelqu’un avait une idée, il sollicitait un membre de mon équipe. Nous n’avons rien mis en place de formel pour postuler. Le budget RH consacré aux chantiers-écoles représente un peu plus de 15% du budget formation groupe. Le coût de ces formations peut aller de 2000€ jusqu’à 50000€ – avec la 3D, en particulier -, en fonction du besoin identifié par le collectif d’individus avec l’expertise de Naval Université.
Pour faire connaître l’idée, les RH l’ont promue auprès des managers et des directeurs de sites. Et ça a germé. Aujourd’hui, nous essayons cependant d’orienter l’initiative davantage vers la qualité. Pour cela nous travaillons avec la direction de la qualité du groupe pour identifier les domaines d’amélioration.
Vous avez aussi mis à profit les périodes de confinement pour travailler sur le partage de connaissance entre les anciens et les nouveaux collaborateurs. De quelle façon ?
Effectivement, nous en avons aussi profité pour favoriser le matelotage, un échange en binôme entre des seniors et des plus jeunes. Cependant, nous nous sommes aperçus que quand deux anciens pratiquent cette démarche sur un même métier, sans avoir échangé sur leur savoir, on se retrouve avec des approches différentes d’un même métier. Pour les uniformiser, homogénéiser ces connaissances et les encapsuler d’une manière homogène, nous avons mis à profit les confinements pour leur demander de consigner leurs connaissances par écrit. Et à partir de ces écrits, nous avons créé des tutoriels. C’est en particulier le sujet d’un chantier à Indret (Loire-Atlantique), sur le nucléaire, autour d’une maquette à l’échelle 1.
Avez-vous également lancé des chantiers-écoles pour la DRH et ses métiers ?
Oui, bien sûr. Nous avons commencé par la production, mais tous les métiers sont éligibles, RH compris. Nous lançons justement un chantier-école RH cette année sur des sujets comme la conduite d’un entretien, par exemple, ce qui n’est jamais facile. Un des objectifs de 2022, ce sont ces chantiers-écoles RH. C’est ma collaboratrice responsable du pilotage et de la transformation qui s’en occupe, sur le même principe de remontée des idées de terrain que les autres chantiers-écoles. Toutes ces démarches ont néanmoins été ralenties par le covid-19, puis la résiliation pour convenance du contrat australien, qui ont beaucoup occupé les équipes RH. Maintenant, nous devons nous occuper un peu de nous !
La formation et la communication au service de l’attractivité
Ces démarches d’évolution de la formation ont-elles aussi un objectif d’amélioration de l’attractivité de Naval Group ?
Oui. Nous avons deux enjeux forts : la réduction de la durée des cycles de formation sans perte d’excellence opérationnelle et l’attractivité de nos métiers. C’est un des éléments qui a guidé la nouvelle organisation RH. En 2018, nous avons créé un petit département, pour promouvoir nos métiers au sein de l’organisation du développement des compétences. Les collaborateurs RH de ce service ont par exemple systématisé une initiative de sensibilisation des classes de troisième lancée par notre site de Brest. Les équipes ont reçu des élèves durant deux ou trois jours pour faire le tour des ateliers, rencontrer les employés. Accueillir un élève durant une semaine pour son stage obligatoire, c’est bien, mais pour préparer l’avenir, susciter des vocations, faire connaître nos métiers, ça n’a pas le même impact que ces visites.
Fin 2019, nous avons même proposé des stages d’une semaine à des enseignants. La réponse a été incroyable. Nous avions prévu sept stages et nous avons reçu 350 candidatures pour y participer ! Nous avons besoin de toucher ces professeurs de collège et de lycée ou les parents, qui ne connaissent pas notre activité. La pandémie a malheureusement donné un coup d’arrêt à l’initiative. Nous allons reprendre, quand la situation sera moins compliquée dans les écoles.
Travaillez-vous sur votre marque employeur ?
Ce n’est pas une marque, mais la promotion de notre ADN, de ce que nous sommes. En revanche, nous avons lancé une campagne ouvrier-ouvrière à Cherbourg, car nous avons du mal à trouver ce type de profils. Nous allons d’ailleurs la déployer aussi à Lorient. Il s’agit de valoriser le métier d’ouvrier dans un environnement du 21e siècle, pour toucher des hommes et des femmes qui vivent au 21e siècle. Nous utilisons donc la 3D et des jeux pour être plus attractifs.
La transformation numérique des RH, avec Welcome, WeLink, Naval Skills fait aussi partie de ces démarches liées à la marque employeur et à l’attractivité. Celle des jeunes en particulier qui sont très adeptes du digital. Je les qualifie de génération du digital et de la protection de l’environnement. Nous devons pouvoir leur répondre sur ces sujets.
Un passage massif au télétravail, avec un accompagnement technique et managérial
Qu’en est-il du télétravail chez Naval Group ? La pandémie a-t-elle changé votre point de vue sur le sujet, voire l’organisation ?
Nous sommes passés de 270 employés avec des possibilités de télétravail en 2019 à 4000 aujourd’hui, qui disposent d’un à deux jours par semaine. Nous avions déjà signé des accords en 2015, puis en 2018. En tenant compte du fait que certaines de nos activités ne peuvent cependant pas être réalisées à distance compte tenu de la sensibilité des données traitées.
Depuis l’expérience du télétravail forcé à 100% avec le covid-19, nous sommes très attentifs au collectif de travail. Pour le préserver justement, le 12 mai 2020, à la sortie du premier confinement, j’avais demandé à tout le monde de revenir au moins deux jours par semaine. Chaque manager peut demander que l’ensemble de ses collaborateurs soient présents en même temps un ou deux jours par semaine, pour que le lien se fasse dans les équipes.
Quelle organisation et quels outils avez-vous mis en place ?
L’équipe DSI a fait un travail remarquable. Dès juin 2020, elle a mis en place un service de visioconférence français sécurisé, Tixeo, labelisé ANSII car nous ne pouvons pas utiliser les solutions des Gafam, pour des raisons de sécurité. Elle a augmenté la bande passante, équipé les collaborateurs de tous les matériels et logiciels nécessaires.
Nous avons organisé beaucoup de formations pour sensibiliser les collaborateurs et les managers à la sécurité. Nous avons aussi organisé des webinaires sur la gestion des équipes à distance pour les managers. Nous leur avons demandé d’organiser des conférences téléphoniques régulières et de prendre des nouvelles individuellement de leurs collaborateurs.
En 2018, nous avions lancé l’initiative Forward pour former nos 1600 managers, chefs d’équipes, membres du comité exécutif aux quatre savoirs du management : motiver, exiger, développer et recadrer. Nous avions donc déjà commencé à sensibiliser toute la communauté managériale à la nécessité de donner du sens et des éléments concrets sur les objectifs de travail des collaborateurs. Et en 2020, nous nous sommes appuyés sur Forward pour bâtir la démarche de sensibilisation au management à distance, sur le sens et l’objectif plutôt que sur la proximité physique et la tâche.
Avez-vous porté une attention particulière à la santé mentale ?
Oui, nous avons mis en place un numéro vert d’accès à des psychologues. Et nous avons conduit début 2021 des enquêtes RPS (risques psycho-sociaux, NDLR). Pour l’instant, nous avons les résultats d’un site pilote. Et majoritairement, surtout dans la population RH, c’est la difficulté à gérer les émotions des employés qui ressort. La pandémie a généré des inquiétudes, de l’incertitude et du mal-être chez certains collaborateurs. Et les managers ont dû y faire face. Mais je pense que ce n’est pas propre à Naval Group.
Propos recueillis par Emmanuelle Delsol